Pourtant, ces liens ne se tissent pas du jour au lendemain. Même si les bénévoles sont la plupart du temps bien accueillis selon Adeline et même « si les personnes rencontrées sont complètement ouvertes à la discussion », toutes trois s’accordent à dire qu’établir une relation de long terme et de confiance est difficile. Lorsqu’on rencontre des personnes inconnues, « il est facile par exemple de parler du travail de chacun pour engager la conversation ». Il est bien plus compliqué d’aborder ce sujet avec une personne dormant dans la rue, qui n’a souvent pas d’emploi.
Selon Catherine, cela est d’autant plus difficile que « beaucoup de sans-abri ont le sentiment d’avoir été abandonnés, trahis ». Cela lui fait dire qu’il « ne peut pas y avoir trop de superficialité dans la relation » avec un sans-abri. Ainsi, « le contact se fait plus difficilement mais en même temps plus profondément ».
Pour autant, faire le premier pas, se lancer dans l’aventure des maraudes n’est pas simple. Cela peut être source d’appréhension comme Flora l’a ressenti : arrivera-t-on à lier contact avec la personne qu’on va rencontrer ? La personne aura-t-elle envie de partager un moment avec nous ?
Au-delà de cette appréhension, aller à la rencontre de sans-abri n’est pas anodin : « tu vois des gens qui vivent des choses difficiles » rappelle Adeline, « des gens qui ont forcément souffert dans leur vie », insiste Catherine.
Certes, faire une maraude est dur psychologiquement. Mais toutes trois soulignent que faire une maraude, c’est avant tout s’ouvrir à l’Autre, chercher à comprendre une situation qu’on ne connaît pas et combattre ses préjugés à travers l’échange et la discussion. Car tous les bénévoles arrivent avec des idées préconçues sur la vie dans la rue et les sans-abri qu’ils rencontrent sont parfois très différents de ce qu’ils imaginaient auparavant.
Adeline évoque notamment un homme qui « passait ses journées à la bibliothèque », bien loin de l’image sédentaire que nous pouvons avoir d’une personne sans-abri.
Cela lui a aussi permis de se rendre compte de la réalité sociale de la vie d’un sans-abri : « Je ne me rendais pas compte à quel point les personnes sans-abri étaient coupées socialement et à quel point cela constituait quelque chose de difficile pour elles de s’intégrer ».
« Tu entends beaucoup de gens dire que c’est de leur faute s’ils vivent dehors mais c’est vraiment tout un engrenage qui est difficile à contrôler pour ces personnes-là ». Souvent, vivre dans la rue découle d’un isolement, notamment vis-à-vis de sa famille. « Je me suis rendu compte de la chance que je pouvais avoir : ma famille ne m’abandonnerait jamais. Alors que plusieurs personnes qu’on rencontrait avaient de la famille chez qui elles allaient prendre des douches. Puis elles retournaient dormir dans la rue le soir… » constate Adeline.
Finalement, les maraudes sont pour les bénévoles l’occasion de déconstruire tous les préjugés selon Catherine : « cela permet une ouverture d’esprit ». « Cela détruit quelques barrières qu’on pourrait mettre entre eux et nous ». Pour Adeline, cela permet aussi d’être plus tolérant, d’avoir plus d’empathie.
Forcément, une telle expérience change l’interaction qu’un ancien bénévole peut avoir au jour le jour avec les personnes sans-abri qu’il rencontre. Adeline a « beaucoup moins de difficultés qu’auparavant à dire bonjour, comment ça va » à un sans-abri qu’elle ne connaît pas. Plus généralement, il lui est plus facile depuis les maraudes d’entamer la conversation avec n’importe qui. Catherine témoigne aussi : « je parle avec la personne qui est dans la rue en face de chez moi et ça je pense que je ne l’aurais pas forcément fait si je n’avais pas vécu les maraudes parce que j’aurais eu plein de préjugés, de peurs qui en fait n’ont pas lieu d’être ».
Au-delà des changements que les maraudes peuvent apporter au quotidien, cela peut aussi permettre au bénévole de se construire. Les maraudes ont ainsi permis à Flora d’en partie se rendre compte qu’elle souhaitait s’impliquer dans la vie de son quartier. Faire vivre son quartier peut d’après son expérience prendre des formes aussi variées qu’aider à intégrer les personnes sans-abri du quartier que d’aider une association à cuisiner le week-end.
Même constat pour Adeline, à qui ce « premier engagement en bénévolat a donné envie de faire un métier utile ». Cela lui a aussi donné envie de donner de son « temps aux personnes qui en ont besoin ».
Finalement, comme le disent les bénévoles, les sans-abri leur apportent souvent plus qu’eux ne leur apportent.
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